« Habituellement considéré comme la forme littéraire zen par excellence, le haïku a été, à l’origine, une création de la bourgeoisie japonaise du XVIe siècle. … C’est certainement à Bâsho (1644-1694) que revient le mérite d’avoir érigée le haïku au rang d’une forme littéraire, au même titre que les plus grands arts japonais : à partir de lui, le haïku, comme le sumi-e (la calligraphie) donne l’impression de cette merveilleuse vacuité d’où surgit soudain l’événement.
Dans ses trois vers, le peu-dit dit beaucoup, sinon l’essentiel : de là cette ténuité apparente, cette simplicité qui semble parfois confiner à une sorte de banalité un peu décevante pour nos appétits poétiques d’occidentaux, mais qui est à la mesure de leur extrême et secrète subtilité. …
Le haïku ne donne pas prise à l’abstraction ; il reste toujours concret : la matière est là, la nature est là, et c’est dans la contemplation, dans sa relation avec les choses – animées ou inanimées – du monde, que le poète perçoit l’harmonie de l’univers et en pénètre les plus grands secrets. C’est par l’attention infinie qu’il porte aux rapports les moins perceptibles qui gouvernent les éléments de la vie et de la nature que le poète atteindra l’état proche du satori (l’éveil spirituel) dont le haiku doit être l’expression. …Cette grande sensibilité à la nature est une des permanences de l’esprit japonais : le shinto (« la voie des dieux ») qui est la religion la plus ancienne et la plus répandue au Japon, comporte, parmi ses rites, la sacralisation et parfois la déification des objets naturels. »
Extrait de : Les 99 haïku de Ryōkan, traduits du Japonais par Joan Titus-Carmel,
Editions Verdier 1986
A qui ce chapeau couvert
de fleurs de camelia
Yasui
Sous la bourrasque
il retrouve toute sa vigueur
le vieux pommier
Eric Noble
J’allais aux cerisiers en fleur
Buson
je dormis sous eux
tel fut mon loisir
Au milieu des champs
c’est la saison où le saule s’effeuille
Kakei
Un oiseau chanta –
tomba au sol
une baie rouge
Shiki
Au beau milieu de la vase
net et pur le fenouil d’eau
Jûgo
Dans les bambous nains
sur les rameaux du kaki
piteux pédoncules
Yasui
Une châtaigne tombe
les insectes font silence
parmi les herbes
Boshô
L’amateur de thé s’émeut
sur un pissenlit des champs
Shôhei
Des gousses de la glycine
goutelettes dégoulinent.
Jûgo
Empourprant les montagnes du soir
les azalées –
nulle maison en vue
Shiki
Dans la solitude
le bruit d’une fleur qui tombe
d’un camélia
Tokoku
Feuilles de fougère
le chasseur du jour de l’an
porte à son carquois
Yasui
Fleurs blanches
sur les pétales carminés
neige d’avril
Eric Noble
Fruits de lotus brisés
fruit de lotus dressés
Bâsho
Les pétales de la rose jaune
est-ce qu’ils frémissent et tombent
au bruit de l’eau bondissante ?
Bashô
Un iris
près de ma chambre
m’a enivré
Ryôkan
Bien qu’amassé pour le feu
la broussaille
se met à bourgeonner
Bonchô
La cueillir quel dommage !
la laisser quel dommage
Ah cette violette !
Naojo
Orchidée du soir
cachant dans son parfum
le blanc de sa fleur
Buson
Without a brush
The willow paints the wind.
Saryu
Pour le cœur
qui ne doute pas
les blanches fleurs du prunier.
Mokuin
Je posai la main sur lui
mais n’en cueillis et passai –
l’hibiscus
Sampû
In the blue darkening sky
The moon paints a pine tree
Ransetsu
Le saule
a oublié sa racine
dans les jeunes herbes
Buson
De quel arbre en fleur
je ne sais
mais quel parfum
Bashô
A cuckoo calls
And through the great bamboo grove
I see the moon.
Bashō
Qu’on me jette une pierre
j’ai cueilli
une branche de cerisier
Kikaku
Au clair de lune
le prunier blanc redevient
un arbre d’hiver
Buson
In the moonlight
there were flowers
but it was just a field of cotton
Bashô
Les fleurs de cerisiers tombées
le temple appartient
aux branches
Buson
Le halo de la lune
n’est-ce pas le parfum des fleurs de prunier
monté là-haut ?
Buson
Even if the cherry flowers bloom
Ours is a world of suffering.
Issa
Sources :
Bashô – Jours d’hiver, traduit du Japonais par René Sieffert, ALC 1987
The Moon in the Pines, Selected and translated by Jonathan Clements, Frances Lincoln Ltd, London 2000
Haiku, Avant-propos et textes français de Roger Munier, Fayard 1978
Les 99 haiku de Ryōkan, traduits du Japonais par J. Titus-Carmel, Verdier 1986